Sculptures turbulentes
Pied d’équilibre

– La sculpture Pied d’équilibre :
Pied d’équilibre ou point d’équilibre ? Voici une sculpture composite et étrange, c’est à dire qu’elle s’organise dans une boucle visuelle, autour de trois éléments : un pied ( L’humain) moulé avec des voiles de papier qui sert de socle ou de « piédestal ». Une grande tige garnie d’un frêle feuillage de papier (la Nature) est arquée par le poids d’un fil à plomb (l’Idée). Ce dernier à la forme de goutte d’eau. Deux teintes s’imposent d’entrée de jeu, celle de la blancheur de la cellulose et le gris mâte du lourd métal.
– Quel pied !
L’utilisation du pied est arrivée tardivement dans le processus créatif car je n’arrivais pas à trouver une base cohérente, suffisamment stable et significative qui puisse conjuguer à la fois l’assise, la légèreté et un message. J’ai trouvé mon inspiration en admirant un vieux « pied de vigne » tout en me demandant pourquoi on attribuait spécifiquement un membre humain à ce noble plan ! A force de recherches, j’ai réalisé que l’espèce humaine, qui fait partie du règne animal, se différenciait, certes par le rire, mais surtout par sa stature verticale, grâce à ses pieds. Ceux-là mêmes qui battent la mesure pour faire de la musique ou pour dessiner en rythme dans l’espace, le graphisme d’une danse. Tout s’éclairait enfin ! Le pied devenait la base logique de cette sculpture. Il contribuait à « l’organe-outil-plant » pour capter une mise à niveau tout comme le « pied de biche » pour faire sauter un chambranle ou le « pied à coulisse » pour mesurer un diamètre… D’ailleurs le système métrique saxon, ne se basait-t-il par sur la longueur d’un pied ? L’unité métrique d’un ver en poésie ne se fait-elle pas en pieds ? Et que dire des expressions qui émaillent notre quotidien sans que nous n’en prêtions particulièrement attention: « faire une tête de six pieds de long », « prendre son pied », « être à pied d’œuvre », « faire le pied de grue », « le pied de page », « bon pied, bon œil » … Bref, la sculpture « outil-organique-plan » jauge symboliquement l’axe fragile d’une verticalité parfaite, pour éviter à temps le basculement. Ce qui signifierait, que l’Homme responsable, tel un artisan conscient des désordres qu’il a engendré, serait le garant du maintien de la bonne gravité du monde.
Outre ces greffes surprenantes du langage commun entre humain et végétaux ou animaux, ces associations sont exploitées dans l’art. Par exemple dans les tableaux de Jérôme Bosch, Pieter Bruegel l’ancien « La chute des anges rebelles », les photos surréalistes comme « La main coquillage » de Dora Maar, et la sculpture de « monstruosités », que nous retrouvons dans l’art occidental, gothique et classique, les divinités indiennes, égyptiennes et grecques comme tout particulièrement l’aile dans le talon d’Hermès. N’est-ce pas là, depuis des siècles, une façon d’exprimer que l’Homme est endogène à la Nature, qu’il appartient à un Tout. C’est peut-être pourquoi, à l’atelier, en mettant en forme ce pied, la tige de feuilles s’est très naturellement imbriquée et à apporter un message de poids à l’ensemble .
-Quelles sont les interrogations ?
- Peut être celui d’une nature infléchie sous un poids d’une goutte d’eau dénaturée (de plomb) car toxique, issue d’un piège créé par l’homme ?
- Un poids qui empêcherait tout développement, déploiement, jusqu’à l’envol du dieu messager ?
- Ou au contraire la symbolique d’une recherche d’équilibre tendu comme un fil à plomb entre l’Homme et la Nature ?
« Je n’ai pas à me préoccuper de l’idée : seule l’image compte, l’image inexplicable et mystérieuse car tout est mystère dans notre vie. » – René Magritte