Démarche

” Il suffit d’une étincelle…                                                                                                                                                                                                                              …. Laurence Machard Brujas tisse un fil aussi intimiste qu’exalté avec les visiteurs. Intimiste, dans son attention portée aux matériaux (des papiers diaphanes, de subtils agencements d’encre, de pastel et d’acrylique) ainsi qu’à la fluidité des lignes qu’elle arbore, dans ses tondos comme dans les lignes ondoyantes qui scandent ses sculptures. Exaltée, elle l’est dans sa passion pour un geste fugace libéré d’un a priori figuratif, mais qui ne renonce pas à s’ancrer dans les strates de l’être, et à exprimer une sensibilité à fleur de peau par un chromatisme vibrant.

Coup de cœur pour son “Filtre météorologique n°7”. Il m’apparaît comme une note haut perchée au sein d’une gamme d’autres tondi dans lesquels elle sait allier des temps nécessaires de respiration, comme pour mieux jouer d’une partition à l’écoute de son corps et de l’environnement… La germination de formes essentielles, mêmes incertaines, que j’ai perçue au cœur de cette œuvre est une étincelle vibrionnante à souhait.

Il suffit d’une étincelle…de vie pour ranimer la flamme de l’art, et d’une étincelle picturale pour donner un souffle nouveau à la vie.”

Samuel Monnier responsable des expositions / Musée de Dole Jura/ 6 octobre 2023/ Exposition de septembre, octobre 2023 Café décintré, Rainans


Les tableaux-relief de papier gaufré, balayés par les flux d’encres colorées, ou les sculptures de fibres naturelles ou de cellulose, légères et mobiles, l’air circule dans les œuvres comme un souffle vital. Un dialogue de tensions s’établit entre légèreté et pesanteur, évaporation et précipité, positif et négatif, éther et terre … Tout est affaire d’équilibres : « je travaille sur la ligne de crête de l’arc-en-ciel ». Du maillage du filet de la réflexion, fuse l’expression libre des émotions et la magie du hasard. Les œuvres sont des allégories. Elles sont les miroirs de nos paysages intérieurs, elles racontent aussi notre fragilité d’être humain sur terre, elles le questionnent, l’alertent…                                                                                                                                                                                                                                                      Whether the relief-paintings of embossed paper, swept by the flow of colored inks, or the light and mobile sculptures of natural or cellulose fibers, the air circulates in the works like a breath of life. A dialogue of tensions is created between lightness and gravity, evaporation and precipitate, positive and negative, the ether and the earth… Everything is a matter of balance: “I work on the rainbow’s crest lineridge”. Out of the meshed net of thinking, spurt the free expression of emotions and the magic of chance. The artworks are allegorical. They tell our fragility as human beings on earth, they question them, warn them…


Faire nature

 

“La nature m’émerveille à chaque instant et je sens combien elle se prolonge en moi ! “

Les tableaux en bas-reliefs, sculptures et installations sont rythmés par le mouvement, la couleur, l’air, le vide non-peint ou réel. Un travail assidu pour insuffler la vie dans mes œuvres, en quête d’une sévère vérité, me pousse à chercher des correspondances et à les tisser entre elles, grâce à des choix techniques singuliers et symboliques. L’air pénètre et anime dans tous les sens mes créations multi dimensionnelles.                                                                                                                                                                   – Concernant les bas-reliefs les gestes prolongent l’expression du corps, ils tracent leurs passages de sillages déchaînés, poudrés par des pulvérisations de pigments. Couché sur la table, le filtre tendu de la surface de l’œuvre, enregistre à la fois, les reliefs d’une texture préalablement gaufrée et la sismographie corporelle des mouvement graphiques et colorés.                                                                                                                                          Nos émotions s’accrochent aux cavités, aux enrochements de cellulose et aux arasements érodés. Un dialogue s’établit entre ces deux polarités, celle d’une surface texturée, absorbante, qui recueille les mouvements les propulsions et les étirements des pinceaux et des brosses chargés des liquides. Les silences des parties non-peintes repoussent ou s’irriguent de rouges, violets, pourpre… A même le papier, les accords colorés se mélangent selon les combinaisons jusqu’à des teintes profondes. Le flux de ces souffles chauds et froids, fusent en tous sens, ignorant les aspérités et surtout évitant des coulures, signes d’une attraction terrestre.                                                                                                                                                                                                                                  Comme le vent, l’encre circule par-dessus les crevasses, les nervures, dessous les rides, au travers de criques, parfois stoppée net par une échancrure ou un front météorologique.

Survoler un univers

                                                                                                                                                                                                                                                                                    La peau du papier vivante, réagit: elle se gonfle, frissonne au contact de l’imprégnation des liquides colorés. Les réactivités chromatiques, ses excavations et reliefs, ses sillons et ses blanches nébulosités, offrent au regard le survol de contrées à explorer. L’œil surplombe et fouille depuis sa stratosphère, un paysage semé de nuages laissant apparaitre des trouées. Ce sont des ouvertures entre les flaques de blancs. Elles font entrevoir de nouvelles profondeurs par le jeu de superpositions de maillages et de lavis translucides et colorés plus ou moins denses.  Les zones blanches non-peintes du papier imposent de puissantes marées hautes. Elles font émerger ou engloutissent l’encre comme les nuées que l’on retrouve dans les Sumi-e qui sur les papiers japonais. Elles effacent des paysages en entier, laissant l’esquisse d’un tracé de montagnes, de ramifications de sillons… Aucune concession ne m’est accordée car le repentir est impossible ou compliqué à solutionner. C’est pourquoi le geste doit obéir avec souplesse et précision à l’élaboration d’une composition mentale.

La mise à l’épreuve du manufacturé

Abstraits et expressifs, les tableaux texturés et les sculptures sont tous deux hybridés par des adjonctions et prélèvements de notre réalité sensible avec l’insertion d’objets “readymade” . Les volumes sont constitués de grillages, toiles effilochées, cordes, reliquats et fibres végétales ou encore de formes d’objets en papier ou fibres moulés . Ces “clonage” par moulage sont des “prélèvements” comparables à ceux opérés par les archéologiques lors de prises d’empreintes. Les éléments sélectionnés sont simples, issus de notre environnement familier. Des objets usinés (barre de métal, grillage, semelle de chaussure etc…) sont des formes exogènes qui émergent et se greffent les unes aux autres. Elles expriment ouvertement une idée ou un message. Perdant leur texture de référence (plastique, métal etc…),ils sont hybridés, assemblés, métamorphosés , gonflés d’une épiderme réinventée. Ainsi transcendés sous la main créatrice, d’une matérialité nouvelle, ils sont  légers, nomades et fragiles. Ces objets recréés restent reconnaissables et  font alors « sens » en répondant à une thématique choisie. Leur formalisme fait contre-poids aux mobilités abstraites. Les “empreintes” d’objets stabilisent le chaos chromatique, d’une matière échevelée, déchiquetée.

 

Un engagement écologique

Les matériaux ne sont pas éternels, ils marquent le dérisoire, il ont leur propre vie et s’engagent à  contre pied de la notion d’éternité de l’Art noble, constitué de bronze et de marbre… Une démarche volontaire: celui d’afficher une humilité en estampillant l’œuvre de sa vulnérabilité, semblable aux êtres vivants, aux choses, et de l’environnement. L’utilisation de matériaux récupérés, usés, simples, dérisoires, engendre assurément  moins d’impacts sur la planète. Ce type de conception possède en contrepartie le mérite d’accélérer le temps de la création en phase avec la rapidité du processus créatif. La variété des matériaux utilisés, stimule des opportunités créatives et invite à la sensualité d’un “touché visuel”.  Ces “choses” incarnées et inhérentes à l’œuvre, témoins silencieuses, mémoires, archétypes d’humanité, nous interpellent.  Elles évoquent les traces de l’Homme, de sa position dans le nœud filandreux et mouvant de la Nature et sa Nature profonde, et plus largement de sa posture face à une éthique écologique et sociale…

Une œuvre allégorique

Apollinien ou Dionysien ?

Un balancement perpétuel rythme et stimule mon inspiration : le champ créatif oscille entre l’Apollinien, c’est-à-dire une réflexion et le besoin de l’exprimer, un engagement clairement cerné, utilisant des représentations reconnaissables, aux formes dessinées et narratives. L’autre versant est Dionysien. Il s’inscrit en contrepoint. Il est l’informe, faisant référence aux éléments naturels, le mobile, la fugacité des couleurs, tissant nos ressentis dans l’ abstraction des émotions dans les bas reliefs des tableaux .                                                                                                                                                                                                                  Les sculptures et les installations ont un esprit plus narratif par utilisation du symbolisme afin de soulever une thématique. Les œuvres, sculpturales et picturales, peuvent être comparées aux roseaux flexibles, qui ploient, souffrent mais résistent quand même aux souffles ou à la furie des tempêtes. L’équilibre précaire des sculptures, des installations éphémères, intrinsèquement fragiles, captent la fibre sensible du cœur et explore l’esprit, cherchant en nous des pistes de pacification. Elles prennent le pouls de notre capacité à faire corps et à repenser notre façon d’habiter le monde, c’est à dire avec notre environnement et le vivant (l’entre soi aussi).

Mes rencontres, mes inspirations :

La source d’inspiration et d’admiration provient de la peinture pariétale des Homos Sapiens Sapiens qui intègre avec naturel la granularité des parois rocheuses aux empreintes et aux tracés.  Mon attention s’arrête tout particulièrement sur les peintres  “coloristes” aux couleurs vibrantes, profondes. Le terreau de ma création le doit  aux “classiques” J Bosch, Bruegel … qui m’habitent car ils posent  un regard témoin sur leur temps . J’interroge souvent les inventions d’un Léonard de Vinci, la hardiesse et la noblesse des tableaux d’un Henri Matis, la fougue du pinceau d’un Delacroix, le tourbillon d’un Van Gogh, ou d’un William Turner d’un Jean Messagier, qui insufflent dans le mouvement, une liberté picturale. L’opulence et la mouvance des couleurs d’un Monet ou d’une Mitchell ou encore d’un Jean Messagier . J’admire la touche vermiculaire d’un De Kooning. J’aime explorer les sillons lumineux d’un Soulage et les matières sacrées d’un Tapiès ou celles d’un  Pierre Lesieur, sans oublier l’écriture vibrante d’un Cy Twombly… Que dire des claques colorées d’un Bonnard ou les es compositions légèrement renversées et aérées d’un Marquet ! Sans oublier les tableaux déchirants de sens d’une Frida Kahlo !

Les sculpteurs constructivistes m’inspirent particulièrement l’éclosion ou la rondeur des formes d’un Pevsner.  “L’électrocution” des matériaux d’un Étienne Martin  , la force du symbolisme d’un Pierro Manzoni , d’un Beuys, ou d’un Boltansky. Le parti pris de l’élégance et de la transparence de Takis ou d’un Clarbous. Christo pour sa liberté audacieuse et respectueuse par l’utilisation du drapé éphémère mobile ou tendu, Le brindezingue d’un Tinguely et la joie naïve d’un Mirô, Sans oublier la force suggestive d’une Louise Bourgeois et la puissance virile d’une Niki de St Phalle. Picasso pour ses collages, ses sculptures et son engagement comme dans  Guernica. Duchamp pour ses greffes mentales audacieuses, Barry Flanagan ou un ernesto Netto pour la magie de l’attraction terrestre. Les peintres chinois et Japonais de l’espace et du tracé, Zao Wou-Ki, L’immense  Fabienne Verdier..  Je pense aux minimalistes, ces artistes aventureux, utilisant les nouvelles technologies. Tous m’émeuvent et m’instruisent … J’en oublie encore, car les familiarités sont si nombreuses et la curiosité des découvertes d’artistes contemporains, que la liste serait interminable …