Démarche

   Survoler un univers – Peinture

La peau du papier vivante, réagit : elle se gonfle, frissonne au contact de l’imprégnation des liquides colorés. Les réactivités chromatiques, ses excavations et reliefs, ses sillons et ses blanches nébulosités, offrent au regard le survol de contrées à explorer. L’œil surplombe et fouille depuis sa stratosphère, un paysage semé de nuages laissant apparaitre des trouées. Ce sont des ouvertures entre les flaques de blancs. Elles font entrevoir de nouvelles profondeurs par le jeu de superpositions de maillages et de lavis translucides et colorés plus ou moins denses. Les zones blanches non-peintes du papier imposent de puissantes marées hautes, des tourbillons, des courants d’air, des lacs paisibles sur lesquels l’œil vagabonde. Ces blancs non peints, inspirés des nuées des estampes japonaises, font émerger ou engloutissent l’encre. Ils effacent des paysages en entier, laissant l’esquisse d’un tracé de montagnes, de ramifications de sillons… Aucune concession ne m’est accordée car le repentir est oblige à déchirer les pans entier du support pour à nouveau ré-interpréter l’espace. C’est pourquoi le geste doit obéir avec souplesse et précision, se nourrissant d’une solide élaboration mentale. La difficulté est de représenter le vent, l’air et ses mouvements.  Afin de traduire l’invisible et les nébulosités,  je tente des confrontations: celles des transparences fugaces en contact à de dures stabilités, tout en préservant la beauté fascinante des variations libres des éléments et les sensations que l’on éprouve à contempler le tableau. La transcription graphique de phénomènes météorologiques en lien avec des géographies, sont autant d’invitations à un voyage intérieur.

« En peinture, le vent apparaît miraculeusement, telle une épiphanie figurative, pour prouver la souveraineté absolue de l’art » (Pascale Dubus).

Onglet VOIR: section « tableaux cascade » séries – « Tableaux agités »

 

   Happer, capter, grimper et surfer sur l’air : sculptures

L’air – bien qu’invisible, il est omniprésent. Fugace, intangible et toujours en mouvement. Pourtant on le sent, on l’éprouve, mais ce n’est que par les effets qu’il produit sur le monde visible qu’on le perçoit. Sculptures et installations, apparemment fragiles comme des roseaux, l’expérimentent indirectement. L’air transporte des sons, des odeurs et des vibrations, se déplace dans le vent, se révèle dans le battement des voiles et permet aux oiseaux de s’envoler et aux nuages ​​de dériver. L’air transmet des ondes sonores, de la température, des odeurs et des particules , voir des virus ( Installation  de 4 sculptures  De l’air dans la tête de Pasteur ) ; se révélant à travers son impact sur l’environnement et les sens (tableaux relief, les installations Manches à air à Besançon, Fanions) . Alors que l’atmosphère terrestre est composée de la couche complète de matière gazeuse qui entoure et protège la planète, l’air n’en constitue qu’un élément, mince couche en réalité, nommé troposphère. Je cherche à susciter une conscience à travers mon travail, de ce qu’implique le fait de respirer ce mélange d’oxygène, d’azote et d’autres gaz, au niveau individuel mais également collectif. J’aimerais tant qu’on comprenne combien l’air est essentiel à la vie sur Terre, autant que l’eau. Je représente notre planète dans mes sculptures sous la forme d’une sphère – contre poids à l’équilibre d’une construction.  L’air est un vecteur principal de mon travail de peinture et de sculptures. Dans les volumes il est l’évidé, le nœud, la fibre ou le filet montre qu’il est un circuit qui relie tout et tous. Le tissage visible et invisible de la membrane d’une matrice protectrice et unificatrice. Pendant longtemps, l’air n’a pas reçu beaucoup d’attention, mais à la suite de la pollution de l’air, des incendies de forêt et des tempêtes violentes provoquées par la crise climatique et en tant que source de respiration lors des pandémies (Covid), il est devenu le centre du discours social et politique auxquels je fais référence dans mes thématiques (quête de liberté, d’opposition aux oppressions, d’interpénétrations vitales, de la fugacité, du protéiforme, du passage…) . J’œuvre à faire respirer mes sculptures et mes installations, pour marquer mon engagement dans l’idée d’ancrer les consciences à le préserver.

Onglet VOIR: section « sculptures turbulentes  »  – « Installations chahutées « 

 

   Faire nature

Dans le langage courant il se dit qu’une réalisation « empreinte » ses formes à la nature, car l’artiste est « proche » d’elle. Pour ma part, je sens intimement que la nature qui m’émerveille, m’habite. Les tableaux en bas-reliefs, sculptures et installations sont rythmés par le mouvement, la couleur, l’air, le vide non-peint ou réel. Un travail assidu pour insuffler la vie dans mes œuvres, en quête d’une sévère vérité, me pousse à chercher des correspondances et à les tisser entre elles, grâce à des choix techniques singuliers et symboliques. L’air pénètre et anime dans tous les sens mes créations multi dimensionnelles.                                                            Plus particulièrement dans le travail des bas-reliefs, les gestes prolongent l’expression du corps. Ils tracent leurs passages par des sillages déchaînés, poudrés par des pulvérisations de pigments. Couchée sur la table,  la surface de l’œuvre enregistre à la fois les reliefs d’une texture préalablement gaufrée au contact des mouvements graphiques de la sismographie du corps. Nos émotions s’accrochent aux cavités, aux enrochements de cellulose et aux arasements érodés. Un dialogue s’établit entre ces deux polarités, celle d’une surface texturée, qui absorbe par capillarité les liquides colorés des propulsions, étirements, jusqu’à l’épuisement des pinceaux et des brosses. Les silences des parties non-peintes repoussent ou s’irriguent de rouges, violets, pourpres… A même le papier, les accords colorés se mélangent en lavis et se superposent par glacis, selon mes choix, jusqu’à atteindre des teintes profondes. Le flux de ces souffles, chauds et froids, fusent en tous sens, ignorant les aspérités et surtout évitant des coulures, signes d’une attraction terrestre. Comme le vent, l’encre circule par-dessus les crevasses, les nervures, dessous les rides, au travers de criques, parfois stoppée net par une échancrure ou un front météorologique.

 

   Éprouver le manufacturé

Abstraits et expressifs, les tableaux texturés et les sculptures sont tous deux hybridés par des adjonctions et prélèvements de notre réalité sensible avec l’insertion d’objets « readymade » . Les volumes sont constitués de grillages, toiles effilochées, cordes, reliquats et fibres végétales ou encore de formes d’objets en papier ou fibres moulés . Ces « clonage » par moulage sont des « prélèvements » comparables à ceux opérés par les archéologiques lors de prises d’empreintes. Les éléments sélectionnés sont simples, issus de notre environnement familier. Des objets usinés (barre de métal, grillage, semelle de chaussure etc…) sont des formes exogènes qui émergent et se greffent les unes aux autres. Elles expriment ouvertement une idée ou un message. Perdant leur texture de référence (plastique, métal etc…),ils sont hybridés, assemblés, métamorphosés , gonflés d’une épiderme réinventée. Ainsi transcendés sous la main créatrice, d’une matérialité nouvelle, ils sont  légers, nomades et fragiles. Ces objets recréés restent reconnaissables et  font alors « sens » en répondant à une thématique choisie. Leur formalisme fait contre-poids aux mobilités abstraites. Les « empreintes » d’objets stabilisent le chaos chromatique, d’une matière échevelée, déchiquetée.

   Une œuvre allégorique en balancement

Apollinien ou Dionysien ?

Les tableaux-relief de papier gaufré, balayés par les flux d’encres colorées, ou les sculptures de fibres naturelles ou de cellulose, légères et mobiles, l’air circule dans les œuvres comme un souffle vital. Un dialogue de tensions s’établit entre légèreté et pesanteur, évaporation et précipité, positif et négatif, éther et terre … Tout est affaire d’équilibres : « je travaille sur la ligne de crête de l’arc-en-ciel ». Du maillage du filet de la réflexion, fuse l’expression libre des émotions et la magie du hasard. Les œuvres sont des allégories. Elles sont les miroirs de nos paysages intérieurs, elles racontent aussi notre fragilité d’être humain sur terre, elles le questionnent, l’alertent…   Un balancement perpétuel rythme et stimule mon inspiration : le champ créatif oscille entre l’Apollinien, c’est-à-dire une réflexion et le besoin de l’exprimer, un engagement clairement cerné, utilisant des représentations reconnaissables, aux formes dessinées et narratives. L’autre versant est Dionysien. Il s’inscrit en contrepoint. Il est l’informe, faisant référence aux éléments naturels, le mobile, la fugacité des couleurs, tissant nos ressentis dans l’ abstraction des émotions dans les bas reliefs des tableaux .                                                                                                   Les sculptures et les installations ont un esprit plus narratif par utilisation du symbolisme afin de soulever une thématique. Les œuvres, sculpturales et picturales, peuvent être comparées aux roseaux flexibles, qui ploient, souffrent mais résistent quand même aux souffles ou à la furie des tempêtes. L’équilibre précaire des sculptures, des installations éphémères, intrinsèquement fragiles, captent la fibre sensible du cœur et explore l’esprit, cherchant en nous des pistes de pacification. Elles prennent le pouls de notre capacité à faire corps et à repenser notre façon d’habiter le monde, c’est à dire avec notre environnement et le vivant (l’entre soi aussi).                                                                                              Image 1 – Vénus à la pomme Image 2 – Icare songe .

   Un syncrétisme : Humains, impacts environnementaux sociétaux, mais avant tout des influences artistiques …

La source d’inspiration et d’admiration provient de la peinture pariétale des Homos Sapiens Sapiens qui intègre avec naturel la granularité des parois rocheuses aux empreintes et aux tracés.  Mon attention s’arrête tout particulièrement sur les peintres  « coloristes » aux couleurs vibrantes, profondes. Le terreau de ma création le doit  aux « classiques » J Bosch, Bruegel … qui m’habitent car ils posent  un regard témoin sur leur temps . J’interroge souvent les inventions d’un Léonard de Vinci, la hardiesse et la noblesse des tableaux d’un Henri Matisse, la fougue du pinceau d’un Delacroix, le tourbillon d’un Van Gogh, ou d’un William Turner d’un Jean Messagier, qui insufflent dans le mouvement, une liberté picturale. L’opulence et la mouvance des couleurs d’un Monet ou d’une Mitchell ou encore d’un Jean Messagier . J’admire la touche vermiculaire d’un De Kooning. J’aime explorer les sillons lumineux d’un Soulage et les matières sacrées d’un Tapiès ou celles d’un  Pierre Lesieur, sans oublier l’écriture vibrante d’un Cy Twombly… Que dire des claques colorées d’un Bonnard ou les es compositions légèrement renversées et aérées d’un Marquet ! Sans oublier les tableaux déchirants de sens d’une Frida Kahlo !Les sculpteurs constructivistes m’inspirent particulièrement, je citerai en premier  les rondeurs des formes des sculptures d’un Pevsner.  « L’électrocution » des matériaux d’un Étienne Martin et la force du symbolisme d’un Pierro Manzoni, d’un Beuys, ou d’un Boltansky. Le parti pris de l’élégance et de la transparence de Takis ou d’un Clarbous. Christo, l’artiste et son épouse, pour la liberté audacieuse et respectueuse de l’environnement dans l’utilisation éphémère du drapé mobile ou tendu. Je me réjoui d’un plaisir enfantin face au « brindezingue » d’un Tinguely et aux montages naïfs d’un Mirô. J’aime la force suggestive d’une Louise Bourgeois et la puissance virile d’une Niki de St Phalle. Je puise mon inspiration dans un Picasso pour ses audacieux ses collages, ses sculptures composites et son engagement politique comme dans « Guernica ». Duchamp pour ses Ready made et ses greffes mentales audacieuses. Barry Flanagan ou un Ernesto Netto pour ses pesanteurs gonflées. Je suis attachée aux leçons des peintres chinois et Japonais de l’espace et du tracé, Zao Wou-Ki, soufflent le souffle vital que partage également Fabienne Verdier. Je pense aux minimalistes, ces artistes aventureux, utilisant les nouvelles technologies. Tous m’émeuvent et m’instruisent … J’en oublie encore, car les familiarités sont nombreuses et la curiosité des découvertes d’artistes contemporains, m’inspirent en permanence …

   Un engagement écoresponsable

Les matériaux ne sont pas éternels, ils marquent le dérisoire, il ont leur propre vie et s’engagent à  contre pied de la notion d’éternité de l’Art noble, constitué de bronze et de marbre… Une démarche volontaire: celui d’afficher une humilité en estampillant l’œuvre de sa vulnérabilité, semblable aux êtres vivants, aux choses, et de l’environnement. L’utilisation de matériaux récupérés, usés, simples, dérisoires, engendre assurément  moins d’impacts sur la planète. Ce type de conception possède en contrepartie le mérite d’accélérer le temps de la création en phase avec la rapidité du processus créatif. La variété des matériaux utilisés, stimule des opportunités créatives et invite à la sensualité d’un « touché visuel ».  Ces « choses » incarnées et inhérentes à l’œuvre, témoins silencieuses, mémoires, archétypes d’humanité, nous interpellent.  Elles évoquent les traces de l’Homme, de sa position dans le nœud filandreux et mouvant de la Nature et sa Nature profonde, et plus largement de sa posture face à une éthique écologique et sociale…

   Il suffit d’une étincelle…

« Laurence Machard Brujas tisse un fil aussi intimiste qu’exalté avec les visiteurs. Intimiste, dans son attention portée aux matériaux (des papiers diaphanes, de subtils agencements d’encre, de pastel et d’acrylique) ainsi qu’à la fluidité des lignes qu’elle arbore, dans ses tondos comme dans les lignes ondoyantes qui scandent ses sculptures. Exaltée, elle l’est dans sa passion pour un geste fugace libéré d’un a priori figuratif, mais qui ne renonce pas à s’ancrer dans les strates de l’être, et à exprimer une sensibilité à fleur de peau par un chromatisme vibrant.

Coup de cœur pour son « Filtre météorologique n°7 ». Il m’apparaît comme une note haut perchée au sein d’une gamme d’autres tondi dans lesquels elle sait allier des temps nécessaires de respiration, comme pour mieux jouer d’une partition à l’écoute de son corps et de l’environnement… La germination de formes essentielles, mêmes incertaines, que j’ai perçue au cœur de cette œuvre est une étincelle vibrionnante à souhait.

Il suffit d’une étincelle…de vie pour ranimer la flamme de l’art, et d’une étincelle picturale pour donner un souffle nouveau à la vie. »

Samuel Monier responsable des expositions / Musée de Dole Jura/ 6 octobre 2023/ Exposition de septembre, octobre 2023 Café décintré, Rainans